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Eric Bazin, l’arrêt de la cour de cassation du 23 octobre 2013

table 2015ERIC BAZIN, NOTE SOUS ARRÊT

Dans cette note publiée dans La Semaine Juridique Édition Générale n° 49, 2 Décembre 2013, sous l’arrêt du 23 octobre 2013, Eric Bazin, magistrat, rappelle les conditions et raisons de l’élaboration d’une table de référence, enregistre le rejet de ce barème par la cour de cassation et analyse celui-ci comme une provocation à l’égard du législateur ou du ministère de la justice, afin de clarifier le statut légal de cette table.

« Dans une circulaire du 12 avril 2010 (…) le ministère de la Justice a diffusé une table de référence purement indicative afin d’aider les praticiens à fixer la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. Cette table est le fruit d’un groupe de travail interdisciplinaire (V. J.-C. Bardout et I. Lorthios, La table de référence des contributions aux frais d’éducation et d’entretien : Dr. famille 2010, étude 24. – I. Sayn et C. Bourreau-Dubois, Présentation de la table de référence pour fixer le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants : AJF 2010, p 458. – Adde, Les contentieux familiaux : Lextenso, Les intégrales, p. 418-419, n° 1034) qui s’est inspiré des expériences étrangères (V. J.-C. Bardout, Expériences étrangères. Droit et pratiques comparées des pensions alimentaires pour enfant : Dr. famille 2010, dossier 2. – V. encore, J.-C. Bardout, Les conditions procédurales de l’utilisation des barèmes en matière de pension alimentaire – l’apport du droit comparé : AJF 2007, p. 428) et fondé sur l’article 371-2 du Code civil aux termes duquel « Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant » (la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a ainsi voulu rappeler dans un texte fondateur et de principe que chaque parent est tenu de contribuer à l’entretien et à l’éducation de ses enfants mineurs ou majeurs encore à charge). »

Eric Bazin retient de l’arrêt du 23 octobre 2013, que la première chambre civile de la Cour de la cassation « interdit aux juges des affaires familiales de se fonder sur cette table ».

(…) La question de droit posée à la Haute juridiction est ainsi la suivante : le juge peut-il fixer une contribution à l’entretien et à l’éducation d’un enfant par référence à un barème mis à sa disposition par une circulaire du ministère de la Justice ?

La première chambre civile de la Cour de cassation répond négativement en décidant, au visa de l’article 371-2 du Code civil, qu’en fondant sa décision sur une table de référence, fût-elle annexée à une circulaire, la cour d’appel, à laquelle il incombait de fixer le montant de la contribution litigieuse en considération des seules facultés contributives des parents de l’enfant et des besoins de celui-ci, a violé, par fausse application, l’article susvisé. »

Selon Eric Bazin, la cour de cassation rappelle aux juges qu’ils ne peuvent pas se contenter « d’appliquer mécaniquement un barème sans motiver leur décision selon les critères légaux et les éléments de fait de l’espèce ».

« Pour autant, cela ne signifie pas que le barème instauré par cette table de référence est remis en question (V. La table de référence des pensions alimentaires retoquée, Forum Famille Dalloz, 24 oct. 2013. – Adde, l’interview de J.-C. Bartout, in Le Barème des pensions alimentaires est-il remis en question ? : AJF 2013, p. 598). En effet, la Cour de cassation n’a certainement pas voulu interdire aux juges du fond de s’aider en utilisant un barème des pensions alimentaires (…), d’autant plus que les barèmes sont nombreux (il suffit de mentionner pour le plus important le barème d’indemnisation des préjudices corporels fréquemment utilisé dans les juridictions. (…). D’ailleurs, le juge n’est pas tenu de s’expliquer sur le barème qu’il utilise pour prendre sa décision car sa seule obligation consiste à motiver sa décision en fonction des critères posés par la loi et des données de l’espèce. À ce titre, il n’existe pas de violation du principe du contradictoire s’il ne mentionne pas dans sa décision qu’il se réfère à un barème préétabli car le barème en question ne s’impose ni aux parties ni au juge lui-même qui doit s’assurer des conditions d’application de la loi et statuer sur la demande formulée (…).

(…) La solution dégagée par la Cour de cassation dans cet arrêt du 23 octobre 2013 est très explicite : le juge familial doit impérativement, concrètement et seulement apprécier les capacités contributives des parents et les besoins de l’enfant pour fixer la contribution alimentaire sans qu’il puisse faire référence à une table annexée à une circulaire dont les montants de contribution restent prédéterminés.

REPENSER LE RÔLE DU JUGE EN MATIÈRE DE PENSION ALIMENTAIRE

Si cette solution rendue par la Cour de cassation est indiscutable sur le plan de l’orthodoxie juridique, elle constitue assurément une provocation. En effet, dans l’optique du projet de loi « famille » (…) et les réflexions actuelles sur le juge du XXIe siècle, la question de l’office du juge en matière des pensions alimentaires se pose désormais avec acuité. Il serait temps, à l’instar de nombreux pays étrangers, d’organiser des méthodes administratives de fixation des contributions à l’entretien et à l’éducation des enfants en fonction de tables de référence à charge d’appel devant le juge. Cette contribution ne serait alors discutée qu’à la condition de justifier que l’application de la table de référence se révélerait injuste ou inappropriée (V. Les conditions procédurales de l’utilisation des barèmes en matière de pension alimentaire – l’apport du droit comparé : AJF 2007, p. 428, J.-C. Bardout). Ce serait permettre aux juges du fond de retrouver pleinement son office pour les cas les plus litigieux… C’est d’ailleurs le périmètre du juge qui doit être aujourd’hui retravaillé par le législateur (…).

Eric Bazin discute encore la question de la prise en compte ou non des charges.

« En conclusion, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 octobre 2013 met l’accent sur la nécessité de modifier ardemment la fixation des pensions alimentaires en France. À l’heure d’une justice familiale asphyxiée, la question d’une fixation administrative des contributions à l’entretien et à l’éducation des enfants mérite d’être étudiée.

Éric Bazin, La Semaine Juridique Édition Générale n° 49, 2 Décembre 2013, 1269

pour consulter le document complet, cliquez sur le lien :

Jean-Claude Bardout, la cour de cassation et le barème

table 2015HARMONISER LES JURISPRUDENCES

Tout en approuvant la nécessité pour le juge de motiver sa décision en fonction des ressources des parents et des besoins de l’enfant, Jean-Claude Bardout rappelle l’utilité de la table de référence : pour l’harmonisation des jurisprudences, pour la prévisibilité et la compréhension des décisions. Il précise  le fonctionnement de la table en cas d’exercice par le parent débiteur d’un droit de visite et d’hébergement régulier pendant lequel il prend en charge en nature les frais d’entretien des enfants.

Extraits

« (…) L’existence d’une table de référence des pensions alimentaires constitue une aide précieuse pour les familles et pour leurs avocats, en favorisant la formalisation d’accords ou de convention parentale et leur homologation par le juge. En cas de contentieux, la table fournit des repères objectifs de discussion, que le juge tranchera. L’existence de références économiques objectives facilite également l’acceptation des décisions et, tel est le vœu unanimement partagé, leur exécution spontanée.

L’autorité d’une table diffusée par simple circulaire est celle que lui donnent les parties qui s’y réfèrent, parents et avocats, et celle que lui confèrent les juges qui y trouvent un moyen d’unifier leurs jurisprudences sans rien perdre de leur pouvoir de décision. Cela étant, la consécration légale de la possibilité pour les parties et le juge de se référer à un tel référentiel, sans modifier le pouvoir d’appréciation du juge, aurait l’avantage de clarifier les débats et sécuriser les décisions judiciaires prises en ce domaine sensible. »

LA CHARGE DE L’ENFANT PENDANT LE DROIT D’ACCUEIL

Second point abordé dans ce commentaire : la cour d’appel d’Agen avait estimé que «l’exercice d’un droit d’accueil restreint augmente, de façon non négligeable, les charges du parent au domicile duquel l’enfant réside ». Or la cour de cassation critique la cour d’appel s’être fondé sur un élément non prévu par la loi. Le code civil, en effet, dit que la contribution doit être fixée en proportion des ressources des parents et des besoins de l’enfant.

« La table de référence préconise, en effet, des montants de contribution moins élevés lorsque le parent débiteur de la pension exerce un droit d’accueil classique.

En cas de résidence alternée, les temps de résidence de l’enfant se partagent souvent de manière équitable, même si cela n’est pas une condition posée par la loi. Dans la pratique, chacun des parents assume directement la moitié des frais d’entretien de l’enfant, tandis que les frais communs (scolarité, activités, vêtements) sont partagés, selon l’accord des parents, par moitié ou en proportion des revenus. La loi prévoit en outre la division du quotient fiscal et le partage des allocations familiales, sauf accord contraire. Mais, lorsque l’un seulement des parents prend à sa charge l’ensemble des frais communs, une pension est parfois sollicitée et mise à la charge de l’autre parent pour contribuer aux frais communs.

En cas de résidence habituelle chez l’un seulement des parents, un droit de visite et d’hébergement est fixé au profit de l’autre parent. Ce droit est fréquemment règlementé selon un rythme régulier, par exemple : une fin de semaine sur deux et la moitié des vacances scolaires. Dans ce cas, l’enfant réside environ 75 % du temps avec le parent chez qui il a sa résidence principale et 25 % du temps avec l’autre parent. Le parent qui exerce un tel droit d’accueil assume donc directement et en nature des frais d’entretien (nourriture, loisirs, logement).

C’est cette réalité qui est prise en compte par la table de référence, en prévoyant que le parent qui accueille régulièrement l’enfant à son domicile contribue pour partie, en nature, et pour partie, par une pension alimentaire. Le montant de cette pension est, dans la table de référence, diminué (de 25%) pour tenir compte de cette participation. Il n’est donc pas exact de dire que la contribution qui n’exerce qu’un droit de visite restreint (ou n’accueille jamais l’enfant) est augmentée, comme l’a avancé la cour d’appel. Le montant recommandé par la table dans ce cas correspond au contraire à la contribution du parent débiteur définie en fonction de ses revenus compte tenu des besoins de l’enfant. C’est au contraire la pension alimentaire du parent qui exerce régulièrement un droit de visite et d’hébergement qui est diminuée de 25 %, pour tenir compte de sa contribution en nature.

L’article 373-2-2 du code civil prévoit cette possibilité en énonçant que la contribution peut « en tout ou partie prendre la forme d’une prise en charge directe de frais exposés au profit de l’enfant ». La table de référence favorise donc une application de ce principe, en déduisant du montant la pension alimentaire la prise en charge directe des frais d’entretien exposés par le parent qui exerce un droit d’accueil au profit de l’enfant. » (…)

LES AUTRES CHARGES SUPPORTÉES PAR LES PARENTS

Un troisième point est abordé dans ces commentaires, celui concernant les charges exposées par les parents; la cour de cassation rappelle à cet égard qu’il incombe au juge de fixer le montant de la contribution en considération « des seules facultés contributives des parents de l’enfant et des besoins de celui-ci ». Les diverses charges payées par les parents ne constituent pas, en effet, un moyen légitime de se dispenser de participer aux dépenses engagées pour l’enfant. L’obligation alimentaire est prioritaire sur toute autre.

Source : Jean-Claude BARDOUT, commentaires parus dans la revue mensuelle Droit de la famille – Lexisnexis Jurisclasseur, décembre 2013 p 44.

sur le même sujet voire l’éditorial et commentaire sur le blog Dalloz