Catégorie : ECONOMIE

études économiques relatives au coût de l’enfant et aux pensions alimentaires

peut-on calculer le coût d’un enfant ?

Le coût de l’enfant, Jean-Louis Dubelloy et Olivier Gérard, Le Furet, numéro 51, Hiver 2006.

Jean-Louis Dubelloy et Olivier Gérard, chargés de mission à l’UNAF, se sont interrogés sur « Le coût d’un enfant », dans un article publié par Le Furet en 2006, publication des professionnels de l’enfance.

« Si chacun est bien conscient que l’éducation d’un enfant génère des dépenses pour la famille comme pour la collectivité, la mesure du coût d’un enfant n’est pas chose aisée. En effet,derrière son apparente simplicité, ce coût relève de multiples dimensions qui rendent sa mesure délicate et imposent pour ce faire des choix philosophiques et méthodologiques. »

 Les auteurs indiquent qu’il existe un coût social et un coût pour la famille. Le coût pour la famille est constitué par un coût indirect (temps consacré à l’éducation et aux soins, qui diminue le temps et les ressources des activités professionnelles) et le coût direct (les dépenses consacrées à l’enfant). Ces dépenses peuvent être évaluées grâce aux budgets types élaborés par l’union nationale des associations familiales.

Extrait : « L’UNAF publie chaque mois les montants des sept principaux postes qui composent les budgets (accessibles sur le site Internet : www.unaf.fr). Ainsi, en 2005, le budget-type mensuel moyen donnait-il les indications suivantes pour la famille comptant deux adultes et deux enfants de moins de quatorze ans : 633,43 € pour l’alimentation, 225,60 € pour l’habillement, 588,04 € pour le logement, 92,03 € pour l’entretien et l’hygiène, 58,70 € pour l’amortissement du mobilier et de l’équipement ménager, : 237,67 € pour les transports, et enfin 421,98 € pour les loisirs, la culture et divers faux-frais : le total était donc de 2 257,44 €. »

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Pension alimentaire et niveau de vie

Divorce, pension alimentaire et niveau de vie des parents et des enfants, une étude à partir de cas types, Alain Jacquot, RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 67 – 2002

L’objet de cet article est de procéder à un examen critique des règles censées être appliquées pour la fixation du montant de la pension alimentaire due par le parent non gardien pour l’entretien des enfants en cas de divorce ou de séparation. Il s’agit également d’évaluer l’impact des pensions alimentaires ainsi calculées sur les niveaux de vie des deux parents et des enfants après la séparation. Dans de nombreuses situations, les montants de pension calculés en application des règles juridiques en vigueur sont relativement modestes, parfois inférieurs au montant de l’allocation de soutien familial – versée par la CAF au parent gardien en cas de défaillance totale du parent non gardien –, parfois même nuls, alors même qu’il est tenu compte explicitement du surcoût des enfants résultant de la situation de monoparentalité. La modestie de ces montants s’explique principalement par trois facteurs : le principe même de calcul de la pension alimentaire, en application du Code civil ; la prise en compte des frais exposés, le cas échéant, par le parent non gardien à l’occasion du droit de visite ; la prise en compte d’une partie du coût des enfants par la collectivité, par le biais de prestations familiales ou d’économies d’impôt dont bénéficie le parent gardien.

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Évaluation du barème et analyse comparative

Une évaluation de l’application du barème pour la fixation du montant de la pension alimentaire – analyse comparative

L’étude réalisée par B. Jeandidier, C. Duroy et I. Sayn, publiée par la revue politiques sociales et familiales en mars 2012 estime que « l’existence même d’un barème est validée par la mise en lumière d’iniquités résiduelles dans les décisions prises sans barème.

Extrait : « L’analyse compare également les montants des contributions aux frais d’éducation et d’entretien fixés par les jugements des cours d’appel (avant diffusion du barème), avec les montants simulés à l’aide du barème. Elle montre, en particulier, que l’application du barème «profiterait » aux parents débiteurs à bas revenus (moindre CEEE) et « désavantagerait » les parents débiteurs à hauts revenus, mais que, en raison d’une certaine homogamie des ressources, elle « profiterait » aux parents créanciers à hauts revenus (CEEE plus élevée) et « désavantagerait » les parents créanciers à bas revenus.

« la comparaison entre les montants de Contribution aux frais d’éducation et d’entretien des enfants décidés en appel et ceux simulés sur la base de la table de référence montre que, si les montants moyens sont relativement proches, en revanche, ces moyennes cachent des écarts parfois non négligeables au niveau individuel. Ainsi, les débiteurs à bas revenus sont plus souvent gagnants (au sens de devoir verser une contribution aux frais d’éducation et d’entretien des enfants moindre) et, lorsqu’ils sont perdants, le taux d’effort induit par le barème reste modeste. À l’inverse, les débiteurs à hauts revenus sont le plus souvent perdants. Ces résultats font penser à un mécanisme redistributif.

Mais lorsque l’on étudie l’impact du barème sur les revenus des parents créanciers, on s’aperçoit que, en raison de l’homogamie des niveaux de ressources, l’impact est limité voire anti-redistributif. En effet, les créanciers à hauts revenus sont favorisés par le barème ; ils sont plus souvent gagnants que les autres catégories de créanciers et, lorsqu’ils sont perdants, la réduction de leur revenu reste limitée. Inversement, les créanciers à bas revenus sont plutôt désavantagés par le barème dans la mesure où ils sont plus souvent perdants et, quand ils le sont, ils supportent une réduction de leur revenu plus forte que celle subie par les autres créanciers perdants. Ces résultats conduisent à approfondir la réflexion sur l’articulation entre solidarité privée et solidarité publique en matière de prise en charge du coût de l’enfant pour les familles à bas revenus, tout particulièrement en cas de forte homogamie sociale au sein de l’ensemble des couples séparés pour lesquels il faut fixer une Contribution aux frais d’éducation et d’entretien des enfants ».

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les méthodes de calcul du coût de l’enfant – étude de droit comparé

Comment calculer le coût de l’enfant ?

Que la contribution soit fixée par une administration (Royaume-Uni, Norvège, Etats-Unis, Australie, Nouvelle Zélande) ou par un juge (Allemagne, Suisse, Pays-Bas, Danemark, Suède, Norvège), son montant est généralement déterminé en fonction d’une table de référence ou barème. Comment ces tables et barèmes sont-ils élaborés ? En fonction de quelle méthode ?

Parmi les méthodes pratiquées chez nos voisins, deux principales se dessinent, dont toutes ne sont qu’une variante ou une combinaison : celle du coût partagé (Cost Sharing) ; celle du pourcentage du revenu parental (Percentage of Income).

A) La méthode du Cost Sharing ou coût partagé : déterminer la part qui revient à chacun des membres du couple parental

La méthode du coût partagé fonctionne en deux temps : premièrement, on détermine le coût moyen d’un enfant ; deuxièmement, on partage ce coût entre les parents en proportion de leurs revenus respectifs. Cette méthode séduit par sa simplicité et sa logique : priorité aux besoins de l’enfant ; solidarité entre les parents. Cependant, elle repose sur une vision normative des besoins de l’enfant et une conception datée du couple parental. Ces défauts ont amené ses partisans à l’amender en intégrant des éléments de la seconde méthode, la méthode proportionnelle (Percentage of Income) pour aboutir à une méthode mixte (Income-Sharing standard). Cette dernière est utilisée dans divers Etats, notamment aux Etats-Unis et au Canada, mais reste lourde à mettre en œuvre.

1) La méthode du coût partagé repose sur une définition normative des besoins de l’enfant

En 1989, l’enquête INSEE sur les budgets familiaux1 estimait le coût moyen d’un enfant à 625 € par mois, avec léger infléchissement au second et au troisième enfant. En 2001, l’étude Altavia Junium 2 retenait un coût moyen mensuel de 634,26 €. L’association SOS Papa 3 avançait, en 2002, un coût mensuel moyen de 455 €, avec des variations importantes suivant l’âge. Ce type d’évaluation repose sur l’ancienne tradition des budgets ouvriers, initiés par Engel dès 1857. Des études de ce type ont été faites dans la plupart des pays de l’OCDE et servent parfois encore de base à certains barèmes.

Les besoins de l’enfant sont quantifiés et les dépenses évaluées. On compte et on additionne, comme s’il s’agissait de déterminer le « salaire minimum » de l’enfant. La démarche a pour elle l’aspect rassurant de la comptabilité du ménage. Elle pêche cependant par sa dimension normative, plus utile à la définition de politiques familiale, sociale ou fiscale, qu’à la fixation d’une pension alimentaire. Car les besoins de l’enfant ne sont pas une donnée constante indépendante des revenus parentaux ; ils sont comprimés en cas de revenus modestes ; ils s’accroissent en cas de revenus plus élevés. C’est le premier défaut de la méthode normative.

2) La méthode du coût partagé repose sur une conception déterminée du couple parental

Après avoir ainsi postulé le coût de l’enfant, la méthode du coût partagé commande de répartir ce coût entre les deux parents. Quoique d’apparence équitable, cette méthode de calcul a fait l’objet de plusieurs critiques.

La première dénonce les conceptions morales qui l’inspirent, comme c’est le cas des barèmes utilisés dans certains Etats américains4, par exemple en Virginie, au Colorado, en Alabama, au Connecticut. Ces modèles (Income Shares Modèle) partent du principe que l’enfant dont les parents sont séparés doit bénéficier du même niveau de vie que s’il vivait avec ses deux parents dans une famille unie 5; voulant faire reposer sur les seuls parents les conséquences financières de la séparation, la méthode veut leur en faire payer le prix 6. En réalité, la séparation entraîne toujours une baisse du niveau de vie, par le seul fait de la déduplication de nombreux postes de dépenses.

Une seconde critique vise ses effets: le parent débiteur payera d’autant plus que le créancier a moins de ressources ou d’autant moins que le créancier a plus de ressources. Si le parent gardien voit ses ressources augmentées, la répartition proportionnelle de la contribution entraînera une baisse de celle-ci alors qu’en réalité l’enfant devrait profiter de l’augmentation du revenu parental. Ce mode de répartition présente donc l’inconvénient soit de faire supporter à un parent les revenus modestes ou l’absence de revenus de l’autre, soit de priver l’enfant de l’augmentation des ressources du parent gardien. Cette méthode perpétuerait ainsi une confusion entre la contribution pour l’éducation des enfants (Child maintenance) et la pension alimentaire due au titre du devoir de secours (Alimony)7.

En outre, si la contribution pour l’enfant est fonction de la situation de ressources du parent gardien, le débiteur est incité à surveiller le parent créancier : la méthode du Cost Sharing entretient inutilement le contentieux entre les parents séparés. Si c’est la mère qui a la charge des enfants, le père invoquera le remariage de celle-ci ou dénoncera toute augmentation de salaire, tandis que celle-ci sera découragée à officialiser une nouvelle union ou incitée à préférer une activité non déclarée.

La méthode du Cost Sharing garde néanmoins ses partisans. Pour répondre aux critiques qui lui sont faites, le coût de l’enfant est évalué par catégorie de ménages selon leurs revenus, à moins que toute définition normative des besoins de l’enfant ne soit abandonnée, comme c’est le cas de la « contribution parentale de base » au Québec 8, de la méthode Renard en Belgique 9, de celle de l’Income Sharing aux Etats-Unis. On se rapproche alors de la méthode proportionnelle, celle où les besoins de l’enfant sont déterminés en proportion des revenus de ses parents. En outre, cette méthode prend parfois en compte d’autres facteurs, tels que la charge directement assumée par le parent visiteur, la charge d’enfant nés d’autres unions, les économies d’échelle de la fratrie etc., comme le fait la méthode proportionnelle. Ce faisant les deux méthodes se sont rapprochées. Mais tant que la contribution de chaque parent reste déterminée en fonction des revenus de l’autre parent, la méthode du Cost sharing, même amendée, reste lourde à mettre en œuvre.

B) La méthode du Percentage of Income ou contribution proportionnelle : déterminer le montant de la contribution à partir du revenu du débiteur

La méthode de la contribution proportionnelle part de la constatation que le coût d’un enfant dépend en réalité du niveau de revenus de ses parents. Et puisque le coût total de l’enfant augmente ou baisse en fonction des revenus parentaux, la contribution du parent débiteur sera en proportion directe de son seul revenu. Cette méthode repose sur une vision réaliste des besoins de l’enfant. Elle respecte l’exigence de contribution proportionnelle de chaque parent en fonction de ses ressources. Son grand avantage réside dans son application simple à mettre en œuvre et plus transparente, grâce à une équation simplifiée. Cette méthode fait l’économie des contentieux incessants entre les parents. Elle facilite les accords amiables. De tels barèmes sont utilisés en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Nouveau-Brunswick, dans divers Etats américains, au Danemark, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne.

1) La méthode de la contribution proportionnelle repose sur une analyse économique du coût de l’enfant selon le montant des ressources parentales

Contrairement à la méthode du Cost Sharing qui part d’une définition normative des besoins de l’enfant pour partager ce coût entre les parents, la méthode proportionnelle (Percentage of Income) détermine le coût de l’enfant en fonction du montant des ressources parentales. Pour connaître la part de l’enfant dans le budget d’un ménage, les économistes raisonnent en terme d’unité de consommation dans le ménage, sur la base des coefficients adoptés par Eurostat et l’OCDE ou déterminent les ressources nécessaires à un ménage avec enfant pour conserver le même niveau de vie que lorsqu’il n’avait pas d’enfant, éventuellement en isolant certains types caractéristiques de dépenses.

Ces études mettent en évidence la relation entre le coût de l’enfant et les ressources des parents. Plus le revenu parental est élevé, plus l’enfant coûte cher. On dit aussi que les enfants participent au niveau de vie de leurs parents. Ces études constituent le préalable à l’établissement de tables simplifiées de pension alimentaire, où le montant de la pension est fixé en proportion du revenu parental. A titre d’exemple, le barème de l’Etat du Wisconsin10 définit le montant de la pension alimentaire due par le parent qui n’a pas la résidence habituelle de l’enfant à 17 % du revenu brut. En Nouvelle Zélande, ce pourcentage est de 18 % du revenu net, après déduction d’un minimum vital. En Grande-Bretagne, le taux de base du barème applicable au parent non résident qui dispose d’un revenu hebdomadaire net de 200 £ ou plus est de 15 %. Les tables du Nouveau Brunswick optent pour un système mixte : un montant fixe auquel s’ajoute un pourcentage du revenu.

La méthode proportionnelle a été critiquée parce que, initialement calculée pour des familles bénéficiaires de l’aide sociale, elle surévaluait le montant de la pension lorsqu’elle s’appliquait à des ménages de ressources moyennes ou élevées. Reproche inverse, ces proportions étaient déterminées dans des familles unies, et étaient donc inférieures aux proportions de ressources que doit consacrer une famille monoparentale pour l’éducation d’un enfant. Pour répondre à ces critiques, les études de coût ont été étendues aux différents niveaux de revenus et ont pris en compte la situation spécifique des familles monoparentales 11; en outre, certains barèmes prévoient une légère dégressivité de la proportion en fonction inverse des revenus (c’est le cas du nouveau barème australien ou du barème du Wisconsin ou de l’ancien barème de Norvège), mais la question reste débattue et la fixité de la proportion garde ses partisans, pour des motifs d’éthique sociale (cf. le nouveau barème néo-zélandais).

Dans les deux cas, l’application de cette méthode autorise un calcul amiable ou une fixation administrative, à charge d’appel devant le juge.

2) Le montant de la contribution est calculée en fonction du revenu du parent débiteur

Le grand avantage de cette méthode est d’établir une relation directe entre le revenu du parent débiteur et le montant de sa contribution (Percent of obligor income), ce qui est mathématiquement possible par réduction de l’équation 12. La part contributive du débiteur augmente ou diminue relativement à celle du créancier, selon les revenus respectifs de chacun des parents, mais en valeur absolue le montant de la contribution ne dépend que des ressources du débiteur. Cela s’explique du fait que le coût d’éducation de l’enfant est en relation directe avec le montant total des revenus des deux parents13.

Cette méthode représente le grand avantage de pouvoir éditer des tableaux simples à lire et comprendre. Chaque parent débiteur sait ce qu’il doit ou ce qui lui est dû. Autrement dit, les ressources du parent créancier sont un facteur direct d’augmentation des besoins de l’enfant mais non un facteur de diminution de la contribution du parent débiteur. Cette méthode favorise la fixation amiable, par une administration (Child support agency) ou par un médiateur familial. Elle clarifie le débat en cas d’appel devant le juge.

En outre, la méthode évite les débats malsains sur les revenus et la situation familiale de « l’ex » qui a la charge des enfants.

C) L’évolution des méthodes: la réussite du barème dépend de la pertinence de ses règles d’application

De nombreux autres facteurs peuvent influer sur le coût d’un enfant et le montant de la contribution. Faut-il déduire les impôts ? Calculer le bénéfice fiscal de l’enfant ? Doit-on défalquer les charges des revenus et lesquelles ? Faut-il déduire le loyer ? les crédits immobiliers ? les crédits mobiliers ? Comment prendre en compte les prestations familiales ? Doit-on tenir compte des revenus du conjoint ? Du concubin ? Des charges d’enfants d’autres unions ? Des frais de garde d’enfant ? Des frais d’orthodontie ? Pourquoi ne pas tenir compte des pertes de revenus du parent qui renonce à une promotion professionnelle ou qui réduit ses heures de travail pour éduquer ses enfants ? De la qualité de vie qu’apporte le plaisir de vivre avec les enfants ? Quel est le minimum vital qui doit être laissé au débiteur ? Toutes ces questions et d’autres encore ont fait l’objet, chez nos voisins, de vifs débats et d’études instructives. L’influence de ces facteurs est parfois prise en compte sous forme de règles précises formalisées dans les modes d’emploi des barèmes (Guidelines des Etats américains, Ammerkungen des tables de Düsseldorf, Lignes directrices au Canada). La seule analyse économique ne suffit pas à choisir les facteurs qui doivent ou non être retenus : ce choix dépend, comme l’a conclut Jacques van der Gaag dans son étude sur la mesure du coût de l’enfant, des objectifs que l’on assigne au résultat recherché 14. Bornons nous à examiner ici les facteurs les plus importants : l’âge et la fratrie ; les charges et les frais.

1) Le facteur problématique de l’âge et l’incidence incontournable de la fratrie

L’existence d’économies d’échelle selon le nombre d’enfant est presque unanimement reconnue. Ces économies varient selon les familles et même au sein de chaque famille, mais, peu ou prou, des moyennes ont été dégagées qui se révèlent assez proches de la réalité. Cette réalité est parfois contestée, notamment par ceux qui déterminent les besoins de l’enfant de façon normative ; en pratique, si une famille dépense 20 % de son revenu pour un enfant, elle ne peut en dépenser 80 % pour quatre enfants. Les études économiques et les nécessités pratiques se conjuguent pour amener les barèmes à introduire des pourcentages dégressifs en fonction du nombre d’enfants.

Le barème du Wisconsin retient les pourcentages suivants : 17 % du revenu pour un enfant ; 25 % pour deux enfant ; 29 % pour trois enfants ; 31 % pour quatre enfants ; 34 % pour 5 enfants et plus. Les pourcentages appliqués en Nouvelle Zélande sont du même ordre: 18 % pour un enfant ; 24 % pour deux enfants ; 27 % pour trois enfants ; 30 % pour quatre enfants et plus. De nombreux Etats américains appliquent un mode de calcul similaire. Il en est de même en Australie et en Grande-Bretagne.

La solution diverge pour l’âge des enfants. Diverses études mettent en avant les différences de coût selon l’âge d’un enfant. En Belgique, Roland RENARD avait établi une relation quasi linéaire entre l’âge et le coût d’un enfant, tandis que la grille de coût de l’association SOS Papa montrait une évolution en U : coût élevé la naissance, baisse dans l’enfance, augmentation à l’adolescence ; d’autres études prouvent une augmentation à l’adolescence ; des études australiennes situent la césure à la préadolescence. Ces évolutions de coût sont en outre corrélées à la composition de la fratrie, voire au sexe. En pratique, les barèmes qui déterminent la pension alimentaire selon l’âge des enfants obligent à une révision chaque année, plus complexe que celle de l’indexation sur l’évolution des prix. Leur mise en œuvre est donc problématique.

En outre, l’allocation de montants différents selon l’âge pose également des questions d’éthique ou d’opportunité, par rapport au principe d’égalité des enfants au sein d’une fratrie. C’est pourquoi la plus part des barèmes font l’impasse sur cette donnée, à moins qu’ils ne tiennent compte que d’une seule distinction, entre l’enfance et l’adolescence, comme le barème australien. Même dans ce dernier cas, lorsque coexistent des enfants et des adolescents, on en revient à la contribution moyenne.

Cet exemple nous rappelle qu’un barème ne peut être établi sur les seuls résultats statistiques ; il doit tenir compte des objectifs qui lui sont assignés et des conditions procédurales de sa mise en œuvre.

2) Le brouillard des charges déductibles et des frais surnuméraires et le rôle des charges directes du parent visiteur

Seconde série d’amendements aux barèmes : les charges et les frais. Il est curieux de constater combien certains barèmes américains ou canadiens reproduisent les travers de certains de nos débats judiciaires : la tentation de vouloir appréhender la réalité exhaustive des charges des parties et des frais d’éducation. D’un côté, on déduit la liste fastidieuse des charges ; de l’autre, on ajoute une série de frais particuliers d’éducation ou de santé. On procède alors comme si la contribution de l’enfant ne devait être calculée que sur les économies du couple (le disponible) ; comme si le coût moyen de l’enfant ne comprenait pas les besoins de santé, d’éducation et de loisirs. La pratique montre combien cette tentative est vaine. Non seulement, les praticiens se heurtent souvent à l’impossibilité d’obtenir les justificatifs nécessaires, mais ces éléments sont rapidement caducs. L’intérêt du barème et des études sur lesquelles il repose est précisément de tenir compte des charges normales de la vie courante des parents et de l’ensemble des frais de santé et d’éducation de l’enfant pour établir le coût proportionnel de l’enfant.

La question de la prise en compte ou non des frais directement pris en charge par le parent qui exerce un droit effectif d’accueil est d’un autre ordre. Elle a fait l’objet de vifs débats et d’études très fouillées 15. Techniquement, ces frais sont déterminables, par application de pourcentages de pondération. Sur le fond, Leur prise en compte ou non répond à une politique familiale : défend-on une conception traditionnelle de la famille où l’enfant est pris en charge par la mère avec l’aide financière du père ? Ou veut-on encourager l’exercice effectif de larges droit d’accueil et le maintien de relations suivies avec les deux parents ? L’Australie, le Canada, la Nouvelle Zélande ont fait le second choix, en amendant leurs barèmes à cette fin.

conclusion

Quoique l’on pouvait s’attendre à ce que les barèmes pratiqués à l’étranger soient d’une simplicité confondante et d’une mise en œuvre simplissime, l’étude du droit comparé nous amène à déchanter. Amendés par trop de fausses bonnes idées, certains barèmes n’épargnent ni aux juges sommés de les appliquer, ni aux administrations auxquelles cette compétence a été attribuée, un travail fastidieux pour un résultat vite obsolète. Aucune méthode de calcul ne remplace l’appréciation du juge, c’est-à-dire la prise en compte de manière raisonnée de l’ensemble des éléments d’une situation concrète.

Cependant, le droit comparé nous autorise aussi quelques fortes leçons. En l’absence de barèmes, les juges sont noyés dans le traitement d’un contentieux répétitif, dont une partie pourrait être réglé de manière amiable, tandis que le montant des contributions allouées souffrent d’une « dispersion géographique » difficilement acceptable ; en outre la méthode n’est pas contradictoirement discutée, faute de référents économiques ; le résultat du calcul n’est pas compris, ce qui affaiblit le taux de recouvrement.

Un barème doit être simple à mettre en œuvre, compréhensible par les parties et applicable sur tout le territoire national. Il doit être public et autoriser la détermination amiable des contributions, avec une procédure simplifiée pour lui donner force exécutoire. L’expérience de nos voisins britanniques est utile à méditer, où l’agence chargée de déterminer et de recouvrir les pensions s’est trouvée confrontée à des règles trop lourdes à mettre en œuvre ; une réforme est envisagée en vue d’un système simple, qui donnerait priorité aux accords amiables entre parents, y compris en leur donnant force exécutoire, la détermination administrative ou judiciaire ne devant intervenir que subsidiairement 16.

La pension alimentaire doit pouvoir être fixée de manière administrative (par un médiateur ou un agent auquel cette compétence est donnée), à charge d’appel devant le juge. Devant le juge, les barèmes ont généralement valeur de présomption simple (rebuttable presumption). Le rôle du juge est alors moins d’appliquer le barème que d’y déroger ; il ne le fait que dans les seuls cas contentieux et lorsque les conditions légales en sont réunies. Aux Etats-Unis, les parties doivent justifier de ce que l’application du barème serait dans leur cas « injuste ou inappropriée ». Au Québec, il faut que l’application de la table de fixation entraînerait des « difficultés excessives dans les circonstances » (Art. 587.2 du Code civil du Québec).

En 2008, alors que la table de référence française n’avait pas encore vu le jour, nous écrivions : « Si un tel barème devait voir le jour en France, il faudra se garder spécialement des tables de références complexes, belles constructions théoriques incompréhensibles par les justiciables, lourdes à mettre en œuvre. Le barème devra être simple, mis en œuvre par les parties elles-mêmes, avec l’aide de leur conseil ou d’un médiateur. La décision du médiateur s’imposerait, à charge d’appel devant le juge. Le juge n’examinerait que les seules situations contentieuses. A ces conditions, … un barème représenterait un progrès indéniable ».

Extraits de l’article « L’alchimie du calcul du montant de la contribution aux frais d’éducation et d’entretien des enfants et les barèmes – l’apport du droit comparé » Jean-Claude Bardout, AJ Famille, Dalloz, Novembre 2008.

1 Le Monde,14 janvier 1992, données converties en euros par l’auteur

2 Le Monde, 2 septembre 2001, étude réalisée annuellement auprès de 1 500 familles

3 SOS PAPA magazine, N°47 septembre 2002, étude réalisée par compilation d’études (Secodip, Credes, Unaf, Cidef, Confédération des familles), données converties en euros par l’auteur

4 Support Guidelines ; cf. http://www.supportguidelines.com/book/chapb.html

5 cf. Basic principles, in Child Support and Arrearage Guidelines, State of Connecticut, August 1, 2005, p. ii

6 Child Support and Arrearage Guidelines, State of Connecticut, Commission for Child support guidelines, Effective August 1, 2005

7 JOHNSTON James R., The Father of today’s child support public policy, his personal exploitation of the system and the fallacy of his income shares model, August 1998

8 Rapport du Comité de suivi du modèle québécois de fixation des pensions alimentaires pour enfants, Québec, mars 2000

9 RENARD Roland, WUSTEFELD Pierre-André, SERRA Raoul, proposition de contribution alimentaire, Méthode Renard pondérée et informatisée, Louvain la Neuve, 2002

10 Guidelines for Setting Child Support Payment Amounts cf.

http://dwd.wisconsin.gov/dwd/publications/dws/child_support/dws

11 HENMAN Paul, Updated Costs of Children Using Australian Budget Standarts, University of Queensland, May 2005

12

C = P * (RD+RC) * RD / (RD+RC)

= P * RD

où C représente la Contribution aux frais d’Education et d’entretien de l’enfant; P, le coût de l’enfant exprimé en pourcentage du revenu parental ; RD, les Ressources du parent Débiteur ; RC, les Ressources du parent Créancier. Les besoins de l’enfant constituent une proportion P du revenu total des parents (RD+RC). La contribution du parent débiteur doit être proportionnelle a la part que représente ses revenus dans les ressources parentales totales.

13 GARFINKEL Irwin, Assuring Child Support, An Extension of Social Security, Russel Sage Foudation, New York, USA, 1992, 161 p.

14 Jacques van der Gaag, On measuring the Cost of Children, in Children and Youth Services Review, Vol 4. pp.77-109, Pergamon Press Ltd, 1982, USA

15 HENMAN Paul, MITCHELL Kyle, Estimating the Cost of Contact for Non-résident Parents : A Budget Standards Approach, Jnl Soc. Pol, 30, 3, 495-520, United Kingdom, 2001 Cambridge University Press

16 A new system of child maintenance, Departement for Work and Pensions, United Kingdom, December 2006